Randolon est un instrument logiciel développé par Charles-Edouard Platel pour rythmer plusieurs de ses musiques, par exemple le dynamisme du "Cycle de la vie" dans les "Transmutations acousmatiques", les fluctuations naturelles au hasard des treize "Poèmes anachroniques" , le ballet déconcertant des "Objets persistants" ou les flux de cliquetis métalliques de "Tres loin tout près". La musique instrumentale de la vidéo "Badinage pour quatre mains" a été entièrement composée grâce à Randolon.
Ce logiciel est un prototype, utilisable pour la musique expérimentale . Il est diffusé librement, Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale
Il est basé sur le moteur Max/MSP/Jitter, initialement développé à l'IRCAM et actuellement distribué par Cycling '74.
Le prototype Randolon
Téléchargement de l'application et de la documentation de Randolon (version 2, nécessite Max/MSP de Cycling '74):
version 2.04bits (.mxf) for MacOS and Windows
De la théorie...
L'idée de concevoir Randolon est venue d'un besoin de maîtriser la composition de musiques non basées sur la régularité du rythme. La réflexion à l'origine de ce besoin est exposée dans cet article: Musique anachronique.
La partie 1 du livre "Musique imaginaire" présente un modèle d'analyse du sonore s'appuyant sur trois dimensions: la durée, la présence et la couleur.
Le chapitre 5 propose d'écouter les objets sonores en référence à ces trois dimensions et, en analogie avec l'univers du visuel, d'y repérer des formes continues, tramées (ou quantifiées), fractales ou aléatoires et leurs combinaisons. En retour, cette typologie peut être utile pour décrire des intentions esthétiques sur le sonore, et ainsi composer de la musique.
...à la pratique
Pour composer sur ordinateur des pièces électroacoustiques, les musiciens s'appuient souvent sur un des logiciels de production audio du marché, comme Pro Tools (Avid), Live (Ableton), Logic Pro (Apple), Cubase (Steinberg), Reason (Propellerhead), etc. . Visant des utilisateurs très divers, ces outils (DAW: Digital Audio Workstation) offrent principalement des fonctions techniques pour travailler sur le signal audio: synthèse et traitement du signal, arrangement multi-piste. Finalement, la réalisation pratique d'une pièce musicale y consiste surtout à découper et coller l'équivalent virtuel des bobineaux de bande magnétique d'antan, certes plus vite et sans emmêler ses doigts dans le ruban adhésif. Le confort et la précision sont très améliorés, mais le bond méthodologique est mince, le travail restant laborieux si l'on s'écarte des canons standardisés. Par exemple: poser sur une piste audio des dizaines d'objets sonores de façon artistiquement irrégulière est fastidieux et délicat à réussir.
La première idée de Randolon est d'agir à un niveau plus générique que celui du signal audio, c'est à dire en injectant dans la machine des paramètres esthétiques intentionnels, charge à celle-ci de les traduire en paramètres techniques, puis en signal audio. Ces paramètres esthétiques intentionnels s'appuient sur le modèlel durée/présence/couleur proposé par "Musique imaginaire".
La seconde idée est que, plutôt que déléguer son inspiration à un outil algorithmique sophistiqué mais impersonnel, le musicien puisse constamment agir sur les paramètres selon son ressenti, en feed-back. Tous les contrôles sont accessibles dans une unique fenêtre. Il s'agit bien d'une approche "instrumentale", et non pas de fabriquer de la musique de robots intelligents ou non.
La troisième idée est de continuer à s'appuyer sur un logiciel de production standard pour fabriquer les sons et réaliser l'arrangement des pistes, en pilotant les paramètres techniques de celui-ci grâce à un "mapping" des paramètres musicaux, via des échelles de correspondance choisies à l'avance par l'utilisateur de Randolon.
Que fait Randolon?
La plupart des logiciels de production audio offrent la fonction de pilotage de leurs synthétiseurs virtuels (samplers, modélisateurs, vocoders, etc.) par un flux de commandes MIDI, typiquement émis par des claviers et des séquenceurs connectés. Randolon prend la place d'un séquenceur pour générer un flux de commandes vers des canaux MIDI, chacun étant affecté à un synthétiseur virtuel et une piste d'arrangement. Ainsi le façonnage des objets sonores reste au niveau des fonctions audio efficaces offertes par le logiciel de production et ses plugins, tandis que l'agencement des objets dans l'espace et le temps est dirigé au niveau de Randolon.
Pour résumer simplement, Randolon est un séquenceur qui s'auto-organise sur la base de décisions esthétiques émises à tout moment par le musicien utilisateur.
Randolon est utilisé par son auteur pour installer des moments de spontanéité créative libérés de leur effectuation technique, par mise en œuvre de schémas esthétiques simples à concevoir, mais qui autrement nécessiteraient un travail audionumérique cent fois plus compliqué et fastidieux.
Randolon peut aussi être utilisé seul, en pilote de synthétiseur externe ou interne, à la manière d'un séquenceur temps réel pour la musique "live".
Principes musicaux de Randolon
Les principes s'appuient sur le référentiel durée/présence/couleur. Selon le projet musical, Randolon permet d'organiser spécifiquement la texture de ces trois dimensions pour donner forme à des objets sonores, qui sont générés grâce à un flux MIDI envoyé vers des instruments:
- la couleur d'un objet sonore est déterminée par :
- le choix d'un instrument virtuel ou de plusieurs instruments superposés et synchronisés; par exemple des samplers exploitant des banques de sons préparées;
- la ou les hauteurs de notes (pitch) en polyphonie, guidée par une échelle tonale ou non;
- la présence d'un objet sonore est déterminée par son intensité et sa position spatiale, dans un périmètre d'évolution défini.
- la dimension durée comprend:
- au niveau élémentaire, le maintien (durée de tenue de chaque note),
- au niveau de l'objet séquence, l'écart temporel relatif des pas de la séquence,
- au niveau global, le rythme de production des événements.
Randolon s'appuie sur un déroulement temporel récitatif, c'est à dire selon une succession de séquences (analogues aux vers d'un poème) composées de pas (analogues aux syllabes ou pieds). Il s'ensuit deux niveaux de rythme:
- le balancement (swing), analogue à une respiration, qui règle les départs de cycle des séquences;
- la pulsation (pulse), qui règle les pas à l'intérieur d'une séquence.
La notion classique de mesure n'est pas gérée par Randolon, car elle correspond seulement au cas particulier où, les séquences étant jointives, la pulsation se ramène à des fractions proportionnelles du balancement.
Le musicien agit en temps réel sur les réglages de la texture sonore. Un réglage comporte une trame répétable et des latitudes de variation automatique des paramètres autour de cette trame.
Ces variations sont de quatre types:
- évolutions lisses, par une modulation continue,
- turbulences, par dispersion aléatoire contrainte par une fluidité et des limites,
- évolutions fractales, par répétition récursive de motifs,
- variations de la séquence inspirées des transformations sérielles.
On peut aussi, d'un point de vue simplificateur, exploiter Randolon comme séquenceur MIDI basique en annihilant tous les réglages de variation automatique, ou comme générateur de musique aléatoire en inactivant la répétition de séquences.
Les travaux sont réutilisables:
- fonction d'enregistrement sur disque du flux MIDI et rejeu de fichiers MIDI;
- les réglages d'interface utilisateur de Randolon peuvent être archivés comme presets, pour réemploi.
Compositions utilisant Randolon:
Charles E.Platel,
(janvier 2013, révisé mai 2014)