La perception du temps pendant l'écoute, réflexion ayant conduit à concevoir le générateur rythmique Randolon pour composer la musique des treize "Poèmes Anachroniques", puis souvent mettre en œuvre cette démarche pour des créations ultérieures.
AUTEUR: Charles-Edouard Platel, compositeur de musique électroacoustique.
RESUME: Une approche pour composer de la musique non basée sur la régularité du rythme en s'intéressant à des notions de "courbure du temps".
1. Ligne du temps musical
Le déroulement du temps musical n'est pas nécessairement réglé par la régularité du rythme.
Les rythmes réguliers et répétitifs témoignent des processus de l'activité humaine: sons de la ville, des usines et des ateliers, expression d'une vie sociale intense et pressante. En dehors de cette activité humaine, l'espace sonore est plutôt peuplé de bruits non réguliers, bien que formant aussi des rythmes. Les rythmes des paysages sonores naturels, du bord de mer, du vent dans la forêt, du chant des oiseaux, sont admirablement indécis ou chaotiques.
Pourtant, l'intuition d'un auditeur contemplatif recherchera inconsciemment à distinguer un sens, découlant de la circonstance présente, du passé immédiat, et même un sens vers des états futurs imaginés.
Les treize Poèmes Anachroniques invitent à cette écoute paradoxale, bercée par une subjective "courbure du temps": bien que chaque son semble se poser selon les hasards de la nature, il relie subtilement les sons passés déjà évanouis aux sons futurs pas encore entendus. Il se produit une sorte de balancement dans l'enchaînement des objets sonores, un peu comme la poésie apporte du balancement à la succession des mots.
2. Ana-chronologie
En complément, j’avais observé qu’une écoute contemplative de paysages sonores naturels conduit aussi à identifier dans chaque bruit, de par nature imprévisible, des souvenirs des bruits précédents et un pressentiment des suivants. J’ai donc imaginé d’intégrer ce concept dans l’instrumentation du processus de composition pour modeler des paysages musicaux "anachroniques".
Cette musique est une liberté poétique, qui pourrait être ressentie comme anachronique pour des auditeurs d'aujourd'hui, régulièrement incités à s'immerger dans des expériences de rythme implacable et de saturation acoustique oppressante.
Un ouvrage de musicologie dont le titre avait attiré mon attention m'a aussi aidé à formuler ces idées:
"Harmonie et courbure du temps" de François Leclère :
"L’œuvre musicale est un phénomène temporel qui commence et qui finit en tentant d'accéder à une cohésion. La réalisation effective de la loi du temps, si évidente lorsqu'on parle du concept général de la musique, devient alors beaucoup plus complexe, car l’œuvre ne peut se contenter d'être une simple succession d'éléments plus ou moins hétéroclites. Si le temps d'une œuvre est successivité, il lui faut encore, pour créer une cohésion, que chacun de ses moments entretienne des relations permanentes avec tous les autres. Pour donner lieu à un présent au sein de la successivité, chaque moment doit être conçu dans un dépassement de lui-même, qui intègre non seulement la totalité de ce qui l'a précédé, mais aussi la totalité de ce qui lui succédera, dans un jeu continuel de souvenirs et de pressentiments. Temps (loi de successivité) et espace (relations permanentes entre tous les moments) constituent alors deux moments inséparables. Ils s'entrecroisent dans le présent de chaque moment où viennent s'enrouler le passé et le futur dans une sorte de courbure spatio-temporelle.»
3. Ecouter des exemples:
Regarder en écoutant:
Charles E.Platel,
(jan 2018, révisé oct 2019)