Musique imaginaire

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Chapitre 7 : Mise en scène sonore

Pour «mettre en scène » la musique, il nous faut agir sur les paramètres de la dimension présence : intensité (ou niveau) sonore et position spatiale des objets sonores.

On peut se trouver dans deux types de mises en scène sonore.

L'auditeur, fixe, est le point référence, et les événements sonores se produisent devant lui ou autour de lui : c'est la situation classique du concert ; on peut la comparer à d'autres types de situations : théâtre sur scène, cinéma, cours magistral, discours, écoute au casque, lecture d'un livre.

L’univers sonore est un espace où se déplacent à la fois les objets sonores et les auditeurs ; cette situation est très courante : bruits de la rue, fête foraine, promenade, défilé, passage d'une fanfare, living theatre. Le public se déplace de manière analogue lors de la visite d'une exposition de peinture ou d'un édifice architectural pour examiner en détail une sculpture, pour apprécier un rendu holographique.

Dans le premier cas l'auditeur est physiquement passif (ce qui ne préjuge pas de son activité cérébrale d'écoute), et les effets de présence sont uniquement provoqués par le jeu musical. Par simplification, nous nommerons cette situation concert assis.

Dans l'autre cas l'auditeur est actif : il peut s'approcher ou s'éloigner, contourner, tourner la tête, tendre l'oreille ou se boucher les oreilles ; les effets de présence sont dus à la fois au jeu musical et à la démarche de chaque auditeur. Nous nommerons cette situation concert debout.

Le concert assis est le plus souvent vécu dans un lieu consacré : la salle de concert, qui constitue un écrin de silence dans l'environnement urbain. Le concert debout peut avoir lieu en tout endroit pourvu que l'environnement le permette : l'œuvre se superpose alors au paysage sonore existant en ce lieu.

Afin de simplifier la suite de ce chapitre, nous limiterons notre analyse en détail aux conditions de concert assis.

Nous aborderons aussi les problèmes spéciaux posés par la diffusion électroacoustique de la musique.

Aspect spatial de la musique

Analyse spatiale des objets sonores

Imaginons l'auditeur dans sa bulle, au centre d'un système sphérique.

 

bulle1

Figure 1 : un auditeur assis dans sa bulle

 

Pour aborder la question le plus simplement, on définira les caractéristiques spatiales de chaque objet à la manière dont les astronomes repèrent les astres :

Position angulaire :

 

Direction dont semble provenir le son, précisée par l'azimut (à gauche, à droite, devant, derrière) et l'élévation (en haut, en bas), de la même manière qu'on situe les astres sur la voûte céleste.

Distance :

 

Objet proche ou éloigné, d'après sa dynamique perçue précise ou floue.

Magnitude :

 

Ponctuel ou massif, l'objet est perçu dans un angle (dit angle solide) plus ou moins ouvert.

Intensité :

Niveau sonore

 

 

bulle2

Figure 2 : caractéristiques spatiales d'un objet sonore

 

Analyse spatiale du lieu d'audition

Le lieu d'audition est un volume limité par des parois plus ou moins réfléchissantes et / ou diffusantes. Examinons quelques cas typiques.

La chambre sourde :

C'est un lieu d'audition tout à fait extrême et théorique, où les parois sont si absorbantes qu'elles semblent ne pas exister. En fermant les yeux on se sent suspendu dans l'espace. Seuls les sons directs de l'émetteur au récepteur sont perçus. La localisation de l'émetteur sonore est parfaite. Les phénomènes d'interférences entre sources sonores distinctes sont très nets : formation de nœuds et ventres de vibration, relations de phases.

L'écoute au casque se rapproche de ce cas théorique, mais sans interférence entre les deux diffuseurs.

Le plein air :

En extérieur et sans écho (pas de bâtiments ou de reliefs réfléchissants), le lieu d'audition donne paradoxalement un résultat assez semblable à celui de la chambre sourde, car il n'y a guère qu'une seule paroi constituée par le sol. Celui-ci joue néanmoins un rôle important, car il renvoie, par réflexion, une partie du son, et transmet, par réfraction, une autre partie, en changeant ainsi la couleur des objets sonores selon la distance :

 

pleinair

Figure 3 : analyse des conditions de plein air

 

Réflexion : On voit, sur la figure, que le son réfléchi par la surface du sol vient doubler le son direct, d'autant plus intensément que cette surface est lisse et dure.

Réfraction : le son pénètre dans le sol à la verticale de l'émetteur, puis il se propage à l'intérieur du sol, et le récepteur capte ce qui sort à sa verticale. Cet trajet dans le sol a trois propriétés très importantes :

seuls les sons graves peuvent passer (filtrage par le sol) ;

une bonne partie de l'énergie vibratoire reste en surface sans se perdre dans les profondeurs, alors que la plupart des sons directs s'évanouissent dans les airs, d'où une moins grande atténuation par l'éloignement (cf. les Indiens à l'oreille collée au sol) ;

la vitesse de propagation (3500 m/s) est environ 10 fois plus importante que dans l'air (350 m/s) ; donc les sons graves réfractés arrivent au récepteur avant, et plus fort que les sons directs et réfléchis.

Conclusion : l'effet de sol transforme la couleur des objets sonores en changeant :

le spectre : les fréquences hautes sont défavorisées par rapport aux basses : le son est moins brillant ;

la dynamique : l'attaque du son est molle, car les transitoires formés de fréquences hautes arrivent en retard à l'oreille de l'auditeur.

Cet effet est d'autant plus significatif que la distance est grande : c'est bien ce qu'ont assimilé culturellement nos oreilles, associant une couleur nette et brillante à un son proche, et une couleur peu contrastée et sourde à un son éloigné.

La cathédrale

C'est le cas opposé de celui de la chambre sourde : tous les sons émis dans toutes les directions sont réfléchis presque à l'infini par les parois. Dans des dimensions plus restreintes, on obtient un effet similaire dans une cave, un couloir de métro, ou grâce à une chambre de réverbération artificielle.

Sauf à courte distance, le son direct est noyé dans les sons réfléchis multiples (réverbération), ce qui interdit de localiser les sources sonores, et même donne l'impression d'être soi-même la source sonore, ce qui peut être un effet intéressant. Finalement les sons graves se propageant mieux, ils sont favorisés par rapport aux aigus, sauf pour un émetteur très proche.

Problèmes de la diffusion électroacoustique

Très souvent aujourd'hui les auditeurs écoutent une musique diffusée par haut-parleurs, soit en concert, soit à la maison.

Du côté des « diffuseurs de musique », deux types de démarche sont pratiqués, radicalement différents sur le plan artistique :

diffusion en direct, ou après enregistrement, d'un concert ayant réellement eu lieu, ou tout au moins ayant été simulé comme tel grâce aux techniques de studio : la finalité est d'approcher en « haute-fidélité » l'écoute dans la salle de concert ;

diffusion d'une œuvre électroacoustique synthétique n'ayant pas à faire référence à des qualités d'imitation.

Ces deux types de démarche exploitent pourtant exactement les mêmes conditions techniques électroacoustiques pour créer un espace sonore.

Conditions techniques

Le haut-parleur est actuellement l'instrument d'usage universel. On considère que sa principale qualité doit être la parfaite neutralité, qu'il ne doit pas changer la couleur sonore et traduire fidèlement un signal électrique en vibration acoustique. C'est certainement l'exercice le plus difficile qui soit, mais qui est bien vain, car, dès que l'oreille a quitté la proximité immédiate de la membrane de l’appareil, les paramètres de la salle d'écoute commencent à intervenir : réverbération, transmission par le sol, diffusion par les objets dans la pièce. De plus les effets spatiaux nécessitent au moins deux (stéréophonie), sinon plus de haut-parleurs, avec les phénomènes d'interférences que cela entraîne. Certes, le casque ou la chambre sourde représenteraient un idéal, mais qui est mal supporté psychologiquement de par l'effet d'isolement total que cela implique.

Aussi tout système hauts-parleurs + salle représente nécessairement un compromis. Une façon efficace de l'exploiter est de prévoir qu'une partie des effets spatiaux sera réalisée lors de la diffusion par le système de diffusion (haut-parleurs + salle) lui-même.

soit en prévoyant des caractéristiques moyennes (ex : la pièce de séjour d'un français moyen) ;

soit, pour le concert, en préparant un appareillage de diffusion actionné par l'artiste en personne (ex. : l'acousmonium du Groupe de Recherches Musicales, le Cybernophone de l'Institut de Musique Expérimentale de Bourges, le processeur spatial d'Espace Musical...).

Les instruments électroniques télécommandés représentent une alternative aux systèmes de haut-parleurs neutres : ils sont, eux aussi, équipés de haut-parleurs ; ces haut-parleurs peuvent être spécialisés pour les couleurs particulières des instruments (orgues, synthétiseurs, batterie numérique). Notons cependant que le standard de télécommande en usage (M.I.D.I.) est basé sur les intervalles fixes du solfège traditionnel, et n’offre pas de paramètres normalisés de caractérisation des sons en dehors des extensions General MIDI de l’exclusivité de quelques fabricants d’instruments ou de logiciels de synthèse.

Création de l'espace sonore

Dans le cas de la restitution d'un concert, le but est de procurer à l'auditeur l'illusion, en fermant les yeux, qu'il est au concert ; l'objectif est ainsi sans ambiguïté, et le résultat plus ou moins réussi par rapport à l'idéal recherché.

Dans le cas d'une pure synthèse électroacoustique, le compositeur est libre de créer un univers virtuel totalement imaginaire. Sa réussite sera de faire partager cet univers à ses auditeurs.

Nous explorerons les conditions de cette aventure dans les chapitres qui viennent maintenant.

 

 

Musique imaginaire ISBN 978-2-9530118-0-7 copyright Charles-Edouard Platel

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